Notre nouveau quotidien… plus de liberté ou plus de règles?
Le choc culturel inversé du retour - une période de transition
Nous sommes encore dans une période de transition, et chacun de nous vit le retour différemment. Les jours de pluie, Michael se demande pourquoi avoir choisi de nous installer dans la grisaille zurichoise alors qu'il pourrait travailler depuis n'importe quel pays plus ensoleillé… pour ma part, il y a certaines choses qui autrefois ne me dérangeaient pas et qui aujourd'hui m'agaçent et je ne me sens pas encore tout à fait de retour à ma place. Il faut se réhabituer à la vie à Zurich: aux normes qui sont différentes, aux nombreuses règles, à la mentalité des gens… et en même temps réinventer notre quotidien à partir des expériences que nous avons vécues à l'étranger. J'aimerais continuer à apprendre à danser le tango et profiter des occasions qui se présentent pour parler espagnol. Imprimer quelques photos de notre voyage pour décorer l'appartement. Trouver si possible dans les mois qui viennent un travail intéressant.
Ce n'est pas la première fois que je change de pays et j'ai confiance que d'ici quelques semaines ou quelques mois, je me sentirai de nouveau totalement à la maison. Et j'ai acheté un imperméable orange pour contrer la grisaille des jours de pluie! :-)
La rentrée scolaire: nouvelles écoles, nouvelles règles
Les enfants ont fait leur rentrée il y a quelques semaines et ils sont probablement ceux qui se réadaptent le plus rapidement! Nous leur avons demandé s'ils préféraient l'école en Uruguay ou ici, ce à quoi Magali s'est exclamée: "C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre! C'est tellement différent, c'est pas comparable!"
Martin a remarqué: "La maîtresse écrivait des choses au tableau et on recopiait. Ici, je peux être tout le temps dehors." Puis le ventre a parlé: "La cantine en Uruguay était meilleure!"
Magali a noté: "En Uruguay, on ne pouvait pas circuler tout seuls dans l'école, il fallait toujours qu'il y ait un adulte qui accompagne."
Martin est en train de reprendre ses marques à l'école en forêt, qui rassemble une trentaine d'enfants entre 4 et 8 ans. Ici, les enfants sont priés d'apporter leur propre Opinel, les cartes Pokémon sont tenues de rester à la maison, et personne ne reçoit des bons points pour avoir fait preuve de bonnes manières au moment du repas.
Les enfants sont invités à ouvrir tous leurs sens à la nature et à en apprendre les nombreux secrets: comment cueillir des orties à mains nues sans se piquer? Quelles ressources de la forêt peut-on utiliser pour cuisiner? Et si on décryptait quel animal est passé par là? Et si on essayait de reconnaître les différents arbres?… Ils apprennent à apprécier la pluie et la boue, ils grimpent aux arbres, ils courent, ils chantent… et développent leur dextérité à partir de matériaux naturels (sculpter des bâtons, fabriquer un arc, élaborer des fleurs en laine feutrée, tresser un panier en osier…) Le plus fou, c'est qu'ils apprennent subtilement les maths et l'allemand sans passer leur temps assis à un bureau, et parfois même sans s'en apercevoir: la nature offre plein de matériel propice à être compté, et il y a moult projets qui - comme par hasard - impliquent d'écrire, de lire ou de faire des calculs…
Magali va désormais à l'école publique, à trois minutes à pied de chez nous. Ici, les enfants sont en chaussons ou en chaussettes dans la classe, les fournitures scolaires leur sont offertes (même les cahiers et les crayons), il y a des fruits gratuitement à disposition lors de la récré de l'après-midi. Les élèves peuvent aller sauter à la corde dans le couloir quand ils ont besoin de bouger, travailler aussi bien assis sur une chaise que debout à un bureau ou vautrés à plat ventre par terre, et ils ont le droit d'entrer et de sortir de l'école tout seuls (j'avoue que le premier jour, ça m'a fait bizarre de ne pas devoir aller chercher Magali, d'avoir juste à l'attendre à la maison!) Ici, pas le droit à l'Opinel, mais des cours et des excursions variées, des projets musicaux et théâtraux, des enfants qui habitent tous dans le quartier, et déjà trois invitations à des anniversaires… Magali est encore en train de chercher sa place au sein du groupe, mais elle profite d'une liberté qu'elle n'avait pas auparavant: celle de se promener dans le quartier au gré des invitations chez les uns et les autres. Il y a parfois des moments de liberté suprême, par exemple, aller s'acheter une glace avec une copine à l'heure du goûter! Pour le moment, elle est ravie…
En tant que parents, notre nouveau quotidien est un habile exercice de jonglage avec les horaires des uns et des autres (Martin et Magali n'ont pas du tout le même emploi du temps, auquel il faut ajouter des activités à droite et à gauche). Et puis, étant de nouveau dans une grande ville, nous profitons à fond de l'offre culturelle! Nous redevenons Suisses: nos week-ends sont tous planifiés jusqu'au mois d'octobre :-D
Choc culturel à l'atelier de peinture
Il y a eu un moment la semaine dernière qui a cristallisé en moi le choc du retour. J'avais inscrit Magali à l'activité "atelier de peinture". Je pensais qu'elle allait enfiler un tablier et se mettre à peindre… mais ça ne s'est pas passé du tout comme ça!
L'animatrice nous a tous fait asseoir en cercle sur des tabourets (les parents étaient priés de rester) et s'est mise à parler des règles à observer pendant l'activité. Il y en avait… une flopée!! Son monologue a duré un quart d'heure. Elle se perdait dans des détails incroyables, à tel point que je me suis demandé si ma fille allait encore avoir du temps pour peindre!
Voici un florilège de règles entendues:
"On ne commence à peindre que quand tout le monde est là, parce que l'activité commence tous ensemble en cercle." (Ca avait l'air important le cercle.)
"Vous noterez que les pinceaux doivent garder leur forme initiale: si on veut appuyer dessus pour faire des effets, alors il faut prendre d'autres pinceaux placés ailleurs. Mais si on prend ces autres pinceaux, alors il faut les laver après chaque utilisation…" (Je vous épargne les détails sur le lavage des pinceaux, ainsi que ceux concernant l'utilisation des éponges…)
"On a le droit de faire seulement un mélange de couleur par après-midi."
"On a le droit de faire une pause quand on a besoin de boire ou d'aller aux toilettes, mais si on a possibilité d'attendre la pause, alors c'est mieux."
"On ne doit émettre aucun jugement de valeur sur les images: ni compliment, ni critique."
J'ai pensé aux maîtresses uruguayennes débordant d'enthousiasme, d'émotions et de compliments: "Regardez ce collage-tournesol que votre fille a fait, il est ma-gni-fique, cette précision dans le découpage des petits papiers de couleur!… surtout, il faut l'encadrer, faites bien attention à ne pas l'abîmer dans l'avion!"
J'ai pensé à l'ambiance parfois bruyante, mais chaleureuse. Au matériel de moindre qualité mais qu'on n'était pas obligé d'utiliser avec trop de précautions… et j'ai eu envie de fuir loin, très loin, vers un atelier peut-être moins ordonné, mais où il y aurait plus de chaleur humaine, plus de liberté… et peut-être un peu moins de règles!
La cerise sur le gâteau, ça a été de me faire refouler au moment d'aller chercher Magali: "Vous êtes là un tout petit peu trop tôt! Vous voulez bien attendre dehors?"
Je n'avais pas pensé à regarder l'heure et j'avais deux minutes d'avance… la porte s'est ouverte à 15h15 précises!
Tout est cependant une question de point de vue, car Magali, elle, a surtout vu les bons côtés: "Oui, c'est vrai, il y avait beaucoup de règles mais j'ai bien aimé, parce que c'était calme et je pouvais bien me concentrer!"
Règles et liberté
Vivre à Zurich, c'est profiter d'une belle qualité de vie, mais c'est aussi accepter bon nombre de règles explicites et implicites. Des règles parfois invisibles et pourtant omniprésentes. Des règles utiles pour le bien-vivre ensemble, qui ont le mérite d'avoir la plupart du temps une explication fondée. (Ce n'était pas le cas à Moscou, où à la question "Pourquoi c'est interdit?" je me souviens avoir reçu la réponse: "Parce que c'est interdit." Comprendre: prière d'obéir sans poser de questions.)
J'aime vivre ici, car il y a beaucoup d'aspects agréables: les enfants peuvent se promener seuls sans que nous ayons à nous soucier pour leur sécurité, les rues sont propres et calmes, il n'y a pas trop d'incivilités dans notre quartier, il y a accès à un confort et une technologie qui ne va pas de soi dans d'autres pays, il y a un souci de qualité qui se retrouve aussi dans l'éducation et les activités… mais quand on revient d'une année dans un pays où il n'y avait pas tant de règles, on se sent tout à coup un peu restreints dans nos libertés. Un peu à l'étroit. Il y a cette pression d'agir correctement, et tout est tellement réglementé! Il faut faire attention à ne pas faire trop de bruit. Veiller une fois par semaine à mettre le réveil parce que l'enfant a école à 7h30 le mercredi et qu'il est hors de question d'arriver en retard. Planifier les rencontres et les activités à l'avance… parfois, j'ai l'impression d'être dans la position du papier à recycler: contrainte à l'ordre, il ne faut pas que ça dépasse, il faut être disciplinée, et contenue par une jolie ficelle dorée. Les gens ici sont fiers de vivre dans une société qui donne une valeur si haute au respect et à la tranquilité d'autrui, mais on ne tolère ni le bruit, ni le désordre, et c'est comme si les règles qui nous entourent avaient façonné la réalité au détriment parfois de l'indulgence et de l'ouverture d'esprit.
Comme le faisait remarquer tout récemment un journal alémanique: "Est autorisé ce qui ne dérange pas. (…) À Zurich, il y a manifestement beaucoup de choses qui dérangent."