Anecdotes (magie noire, le concours de chant de la maîtresse, la soirée pyjama)
Magie noire?…
Nous aimerions bien vendre la voiture. Comme elle était dans un état épouvantable et que nous n'avons pas d'aspirateur, nous l'avons donnée à nettoyer. Quand je suis allée la récupérer, toute propre et pimpante (je parle de la voiture), les deux jeunes filles qui s'en sont occupées ont demandé à me parler. Elles avaient trouvé dans la voiture quelque chose d'étrange, profondément enfoncé entre les sièges de la banquette arrière. Un petit objet curieux en forme de croix avec un petit papier plié. Pour moi, ça ressemblait à un bricolage d'enfants, mais pour elles, ça avait l'air d'une découverte importante. Elles ont saisi l'objet avec une pince à linge pour ne pas le toucher directement avec les doigts. "Chez nous, on dit que c'est de la magie noire… un objet de malédiction… peut-être que quelqu'un vous en veut… si vous voulez, à la maison, vous pouvez lire ce qui est écrit sur le petit papier." Elles avaient l'air sincèrement désolées et même un peu inquiètes. Moi, je ne voyais vraiment pas qui aurait pu nous en vouloir et qui aurait pu mettre ça dans notre voiture.
Comme elles étaient jeunes, mon esprit tordu a pensé un instant que nettoyer des voitures n'était pas un travail très passionnant et que pour tuer l'ennui, elles s'amusaient peut-être à confectionner ces petits objets pour effrayer les clients dont les voitures étaient particulièrement sales! La vérité a éclaté à la sortie de l'école… et la sorcière est tombée des nues quand elle a appris être soupçonnée de magie noire! Il s'agissait bien d'un bricolage d'enfant tout droit sorti de l'imagination de Magali. "Voyons, ça ne se voit pas que c'est un crayon?!"
Le concours de chant de la maîtresse
La maîtresse d'anglais de Martin a une passion: le chant. Et en ce moment, elle participe à un concours en plusieurs étapes. C'est très chouette, car ça veut dire qu'en classe, elle ne peut pas trop crier parce qu'elle doit préserver sa voix. Elle en a parlé à une maman qui en a parlé à une autre maman, qui en a parlé sur le groupe What's app des parents… et la nouvelle s'est vite répandue que la maîtresse allait chanter et qu'on ne pouvait pas ne pas aller l'encourager!
Nous voilà donc débarquant un mercredi à 21h30 à Punta del Este dans un endroit pas vraiment conventionnel, tenant à la fois du restaurant et du centre-commercial. La plupart des parents étaient en train de manger, et la plupart des enfants étaient en train de jouer. Ils couraient en chaussettes entre les tables du rez-de chaussée et l'aire de jeux à l'étage, dans des allers-retours incessants entre les parents et les toboggans. Cela a duré environ une demi-heure, puis le concours a commencé. La maîtresse avait demandé aux organisateurs de passer en premier car elle voulait éviter que ses petits élèves se couchent à une heure démesurée. Elle avait troqué son pantalon contre une robe courte, elle s'était soigneusement maquillée et coiffée, et malgré une longue journée en classe, elle était resplendissante. Elle a chanté "Y sin embargo, te quiero" (A. Quintero, R. de León y M. Quirogaet) et "One and only" (Adele). Même si ce n'est pas vraiment le style de musique que j'écoute, j'ai apprécié sa présence sur scène, la justesse de sa voix, et les émotions qu'elle a incarnées pendant quelques minutes avec tout son cœur et tout son corps.
Pour les enfants, c'était une expérience qui les a laissés sans voix. Ils ont vu qu'une même personne pouvait avoir plusieurs facettes et susciter une impression très différente selon le contexte. Ils ont vu qu'on pouvait être maîtresse la journée et chanteuse la nuit. Ils ont vu qu'on pouvait avoir un travail "normal" et choisir quand même de poursuivre ses rêves.
La maîtresse a écrit que ce qui avait rendu pour elle cette nuit inoubliable, c'étaient les visages indescriptibles de ses petits élèves, leurs grands yeux brillants, la tendresse qu'elle a ressenti, leurs câlins à la fin… elle a pleuré d'émotion et on la comprend!
La soirée pyjama
Les soirées pyjamas sont très populaires parmi les camarades des enfants (il faut apprendre tôt à faire la fête). Il y a quelque temps, les enfants avaient voulu inviter un copain à dormir à la maison. Nous avions tout organisé avec le papa, mais au dernier moment son ex-femme avait décrété qu'elle n'autorisait pas les soirées pyjamas, obligeant le papa à venir contre son gré récupérer son fils chez nous à 20h. Les enfants avaient évidemment été un peu déçus, et Magali avait posé au papa la question sensible, la question qui fait mal et qui va droit dans le mille: "Et pourquoi c'est la maman qui décide et pas toi?" Après être resté un bref moment sans voix, le papa avait souri et répondu sincèrement: "Tu as raison, c'est une bonne question, et je ne sais pas quoi te répondre!"
Quelques jours plus tard, il a été de nouveau question d'organiser une soirée pyjama à la maison. Les enfants ont passé toute une semaine à rêver de ce qu'ils allaient manger, à faire des listes avec les copines qu'ils voulaient inviter, notant toutes les choses indispensables à apporter et songeant déjà à quelques idées d'activités. Très vite, il a été décidé qu'on inviterait quatre filles à la maison (deux de la classe de Magali, deux jumelles de celle de Martin), et que les enfants feraient des pizzas d'après le livre de cuisine pour enfants que nous avons à la maison (cadeau du prof de cuisine de l'école - c'est lui qui l'a écrit et les recettes sont très bien, je le recommande.) Je me suis occupée de l'organisation, et ce n'est pas si évident quand le papa dit de voir avec la maman qui est en voyage à l'étranger, et que la maman dit de voir avec le papa puisqu'elle n'est pas là. Il s'est finalement avéré qu'ils étaient tous deux séparés, et quand j'ai compris que la nouvelle compagne du papa n'était autre que la maman d'une autre fille que nous avions invitée, tout s'est éclairé et la logistique est tout à coup devenue plus simple.
Le grand jour est arrivé, et deux heures avant que j'aille chercher la smala d'enfants à l'école, Michael m'a annoncé: "Oh, il y a padel ce soir! Il manque juste une personne… je peux y aller? C'est à 18h… c'est seulement deux heures… tu vas te débrouiller avec les enfants, non? J'ai déjà fait la pâte à pizza, il n'y aura plus qu'à ajouter avec eux le jus de betterave, parce qu'ils veulent faire que la pâte soit rose…" J'ai maudit pour une fois la spontanéité des Uruguayens et leur manie d'organiser les activités au dernier moment. Et j'ai maudit l'idée des pizzas… avais-je vraiment participé au processus de décision?! Une chose est sûre, j'aurais dû me méfier du jus de betterave!
Les enfants ont goûté, l'homme est parti s'amuser ("Profite biiiien!"), et je n'avais pas encore fini de faire la vaisselle que les premières jérémiades ont commencé: "Maman, les filles chuchotent entre elles et elles ne me disent pas quoi!" "Maman, nous on veut être toutes les trois dans une chambre et les autres viennent toujours nous déranger!" "J'ai faim, quand est-ce qu'on mange?" Mais comment peut-elle avoir faim, elle vient de faire un énorme goûter il y a même pas une demi-heure?! Les portes claquant dangereusement et l'ambiance se faisant électrique, je me suis empressée de proposer à tous l'activité pizzas.
Les cris ont immédiatement cessé, et les six enfants ont pris d'assaut avec grand enthousiasme le saladier de pâte qui trônait au milieu de la table. Ils ont commencé à pétrir vigoureusement la malheureuse pâte (elle avait si bien gonflé!), qui est vite devenue ultra-collante, puis ils lui ont donné un bain de jus de betterave ("Les enfants, juste un tout petit peu ça suffit, pas besoin de plonger toute la pâte dans le bol…"). La couleur était bien rose mais la consistance ressemblait plus à de la colle artisanale qu'à de la pâte à pizzas et je me suis un instant demandé si nous allions vraiment réussir à faire un repas avec ça. Mon joker? Le paquet de farine. J'ai entrepris de verser à chacun de la farine - tout le monde en voulait, et quand j'avais fini de faire le tour, les premiers en réclamaient de nouveau. J'ai constaté avec horreur que certains enfants n'avaient pas eu l'idée de relever les manches de leur pull, qui avait donc rencontré le jus de betterave.
Après ajout d'une montagne de farine, la pâte est devenue plus présentable, et les enfants se sont alors soucié de la garniture. J'ai sorti la sauce tomate et j'ai entrepris de râper du fromage, et plusieurs enfants se sont immédiatement proposés pour le faire. L'une des filles s'est dirigée vers l'évier, et j'ai tout à coup réalisé que deux enfants l'y avaient déjà précédée et qu'il était probablement judicieux de l'aider à se laver les mains si je ne voulais pas que dans cinq minutes le siphon soit bouché. Cela s'est révélé long et compliqué. J'ai abandonné la râpe à fromage à une volontaire, et j'en ai même sorti une deuxième pour les autres, parce que bien sûr chaque enfant voulait râper son propre fromage. J'étais à l'évier en train de me battre avec la pâte, le sopalin, les doigts de l'enfant toujours collants, les miens qui le devenaient, et ce maudit liquide-vaisselle pas efficace… quand tout à coup j'ai entendu un grand bruit de faïence cassée. Un geste un peu trop enthousiaste avait fait déraper la râpe et le bol avait glissé. J'ai apprécié comme les enfants se sont tout de suite empressés de ramasser les morceaux cassés, de chercher un sac plastique pour les mettre, de proposer de passer le balai. J'ai rigolé aussi en entendant une voix naïve toute à sa pizza demander "Est-ce qu'il y a de l'origan?" À ce moment là, constatant l'état de la table, du sol, des chaises (l'assise en tissu avait eu sa part de taches de betterave), de l'évier, des enfants… j'ai saisi le balai et j'ai laissé les enfants se débrouiller avec leurs pizzas. À ma grande surprise, elles ont fini par prendre forme, et le résultat s'est même avéré très mangeable et très présentable. La table, elle, a eu besoin d'un coup de baguette magique pour être à nouveau utilisable.
Le nettoyage a duré un bon moment, car les enfants m'interrompaient tout le temps. L'une des filles trouvait que ce n'était pas juste que son demi-frère ait prêté son sac de couchage à sa sœur jumelle et pas à elle. Une autre voulait déjà installer les matelas… et bien sûr, régulièrement, les enfants venaient demander où en étaient les pizzas…
Michael n'a rien vu de tout cela, car il est arrivé juste quand nous commencions à manger, à un moment où tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. "J'ai beaucoup couru!" a-t-il dit en arrivant. "Moi aussi! Je ne me suis pas assise une seconde!" L'effort en valait toutefois la peine, car Martin et Magali ont déclaré le lendemain que faire des pizzas avait été l'un des plus beaux moments de la soirée pyjama :-)